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Diviser pour régner: les répercussions de l'abus de pouvoir


Diviser pour régner...

Qui n’a pas entendu cette affirmation au moins une fois dans son parcours personnel ou professionnel?


Qui n’a pas été remis plus ou moins gentiment, plus ou moins fermement à sa place sur la nécessité incontestable de diviser pour pouvoir régner?


Qui n’a pas été acteur(actrice) conscient(e) ou insconcient(e) de cette 'méthode' dans sa façon de 'régner'?


Car c’est ainsi que le monde dans lequel nous évoluons fonctionne, ou tout du moins a fonctionné jusqu’à présent. C’est ainsi que beaucoup des grands leaders historiquement reconnus pour leurs exploits et leur capacité à conquérir le monde ont manœuvré. Cela fait partie du mode d’emploi de tout bon dirigeant ('bon' dans le sens reconnu par la communauté comme étant performant par rapport à une norme définie).


Dans mon expérience, j’ai eu à recevoir ce rappel, je dirais même cette injonction, à plusieurs reprises il n’y a pas si longtemps que cela, dans le cadre de mon travail.


L’épisode le plus récent était à l’occasion d’un échange par email où je me positionnais pour exprimer ce qui était en accord avec mes valeurs et principes, que je pensais à ce moment précis alignés avec ceux de mon manager à qui l’email s’adressait. Il s’agissait d’une situation ambiguë et complexe comme nous en rencontrons souvent dans mon métier et en réponse à mon email, ma hiérarchie m’a clairement fait comprendre que diviser pour régner était une règle basique de tout bon leader. C’était même exprimé avec un ton plutôt suffisant qui insinuait: j’ai du mal à croire qu’à ce niveau de responsabilités, tu n’aies pas encore intégré cette règle essentielle de management!

En toute logique, cet email a creusé un fossé avec ma hiérarchie, je ne me reconnaissais plus dans les valeurs de cet environnement et sans me souvenir de la durée exacte entre ce moment précis et mon départ, je sais qu’il a été un des déclencheurs de ma décision de quitter l’entreprise.


Revenons quelques années auparavant dans un autre environnement. Alors que ma hiérarchie directe venait de changer, donc à nouveau dans un contexte complexe et ambigu, la nouvelle personne aux commandes n’a pas hésité à dire lors de la première réunion d’équipe: 'je n’ai pas peur d’avoir du sang sur les mains'. Ce sont les mots précis utilisés en plein comité de direction. Le ton était donné dans ce qui deviendrait finalement une expérience raccourcie pour moi car comment être en accord avec ce type de posture? En ayant moi-même du sang sur les mains? Et d'ailleurs, ça veut dire quoi 'avoir du sang sur les mains' dans un contexte d'entreprise au 21è siècle? 6 mois plus tard, j’avais quitté l’entreprise, non sans mal à faire valoir mon droit à être traitée dignement dans le cadre de mon départ (mais c'est une autre histoire).


Nous étions déjà largement entrés au 21è siècle au moment de ces épisodes…au 21è siècle, vous rendez-vous compte?! Et nous nous prétendons évolués en tant qu'humanité, sérieusement?


Aussi difficile soit-il de recevoir de telles injonctions, elles ont le mérite, si on décide de les prendre dans ce sens, d’ouvrir les yeux sur la nature de la personne en face de nous et de nous inciter à nous positionner. Est-on en accord, ou non, avec la méthode utilisée?


Déjà, sur le moment, ces situations m’ont paru surréalistes tant ma vision des choses n’inclut pas l’orchestration de son propre pouvoir par la division. Je me souviens m’être fait la réflexion: nous sommes au 21è siècle dans une société qui se dit développée, moderne et intelligente (artificiellement ou non) et ce type de pratiques existe toujours? Personnellement, j’estime que cela n’est tout simplement pas acceptable. Quitte à ne plus 'régner'.... c’est ce que j’ai finalement été amenée à décider lorsque j'ai ressenti le besoin d'aligner mes comportements et mes actes à mes valeurs. Ainsi, à plusieurs reprises, j'ai quitté un travail bien rémunéré pour cette raison. Car je ne pouvais plus cautionner ce qui était implicitement imposé et qui était de l’ordre de l’inacceptable pour moi.


J'en suis naturellement venue à me poser la question du pourquoi. Pourquoi était-ce si inacceptable pour moi? Allons donc voir d’un peu plus près ce que la posture diviser pour régner implique.


Tout d'abord l’expression en elle-même. Sans parler de l'allusion à une manière d'acquérir le pouvoir bien loin des réalités actuelles des entreprises ou autres collectifs du 21è siècle, la référence à la notion de règne est loin d'être anodine puisqu'en général, le règne d’un roi ou d’une reine s'étend sur la durée allant même jusqu'à une vie entière. Donc accepter cette méthode implique que l'intention véritable est de se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible quel que soit le moyen de le faire. On ne prend plus l’intérêt collectif comme objectif premier (peu importe la taille du collectif en question, une famille ou un royaume, le principe est le même) mais on vise de conserver le pouvoir coute que coute.

Une autre expression vient confirmer cette même posture: la fin justifie les moyens. Une phrase qui introduit la règle du 'tout est permis' pour arriver là où on veut arriver. Faire sienne cette devise, c'est tout simplement avoir l'intention d'être dans l'abus de pouvoir c'est.-à-dire tenter d'abuser les autres au travers de son propre pouvoir.


Dans la pratique, le fait même de sciemment utiliser les techniques de division pour garder le contrôle est une forme de manipulation, ce qui revient à usurper un droit universel fondamental de tout être humain: le libre-arbitre de chacun à s'auto-déterminer. Lorsqu’une personne est manipulée, son consentement est obtenu par des méthodes biaisées qui ne partagent pas en toute transparence les informations nécessaires à une décision pleinement éclairée. En s’adonnant à la pratique de diviser pour régner, on devient le chef d’orchestre des personnes en présence dont on utilise l’ignorance, la naïveté, la peur, le déni etc...bref toute cause de manque de discernement, pour ses propres intérêts personnels. C’est à dire qu’on consent à 'jouer' avec les autres plutôt que de prendre le risque de ne pas servir ses intérêts personnels. On consent à ne pas tout divulguer de ses intentions réelles pour obtenir le résultat attendu. On consent à superposer sa volonté personnelle sur celle de l’autre qui ne sait pas ce qu’il veut, au lieu de prendre le risque d'exposer ses intentions et de les expliquer pour tenter de convaincre l'autre, puis de le laisser décider.

Et bien souvent, la première tactique de défense pour justifier cette posture ambigue sera : 'tu n’avais qu’à me demander, je t'aurais répondu'.

Un peu facile, non?


Certes, chacun se doit, dans son processus de décision, d’identifier les informations nécessaires et le moyen par lequel les obtenir. En tant que membre d'équipe ou d'un groupe, il est donc primordial de définir les actions à prendre pour agir en être responsable, comme par exemple de poser des questions quand on n'a pas toutes les réponses. Mais cela ne justifie pas que la personne qui détient des informations ne mette pas en place toutes les actions nécessaires pour les rendre disponibles. La transparence de l'information n'est pas une option, elle est un devoir.


A ce stade de la lecture, je souhaite préciser une chose: me reviennent à l'esprit des situations où je n'ai pas été suffisamment transparente dans mon rôle de manager, de parent ou de membre d'équipe (la question de la transparence est un vrai sujet que j'explorerai dans un autre article). Alors mettons-nous à l'aise: cette règle de diviser pour régner est tellement intégrée dans le fonctionnement de notre monde, elle est tellement implicitement présentée comme la règle d’or inévitable qu’on le veuille ou non, que personne ne peut affirmer qu'à aucun moment de sa vie, il ou elle n'y a fait appel et n'a utilisé cette manoeuvre pour 'régner'. Et ce dans tous les aspects de la vie: que ce soit en tant qu’enfant, parent, professionnel, dirigeant, membre d’équipe, sportif etc, les exemples sont nombreux.

Il est donc acceptable de retrouver dans son parcours des situations où nous avons régné grâce à l'utilisation de la division. C'est non seulement acceptable, mais également essentiel de les relever pour en prendre pleinement conscience et utiliser nos magnifiques capacités analytiques sur nous-mêmes, afin de comprendre nos propres mécanismes de fonctionnement et de petit à petit avancer vers une nouvelle façon d'être. Ce qui n'est pas acceptable par contre, c'est de ne rien faire en remettant gentiment ce qui n'est pas joli sous le tapis, par peur de ce que l'on va découvrir.


Alors, la question que l’on vient à se poser est: maintenant que j'en ai pris conscience, jusqu’où suis-je prêt(e) à aller pour me maintenir au pouvoir? Ce qui conduit à explorer en toute humilité et intégrité ce que veut dire le pouvoir pour soi: comment en est-on arrivé(e) à avoir tout ce pouvoir? Et qu'est-ce qu'il déclenche en soi?

Une fois que la prise de conscience est faite sur ce trait si important de son propre leadership (encore une fois quelle que soit la “casquette” de vie que l’on regarde), que décide t-on d’en faire? Quelles actions va t-on décider de mettre en place pour corriger cela?


Car les conséquences de perdurer dans de tels comportements peuvent être importantes, nombreuses et néfastes. Pour soi et pour les autres.


Immanquablement, lorsqu'il y a manipulation, un climat hostile et d'adversité toxique se répand dans un groupe. Que ce soit dit ou non.

Gardons bien en tête qu'un groupe ou collectif de quelque nature que ce soit existe et s'équilibre par des codes, des conventions et des croyances communes. C'est ce qui va constituer la norme du groupe à laquelle chaque membre va plus ou moins adhérer.

Or, nous savons que penser quelque chose, ressentir une émotion émet une onde, une fréquence qui se renforce en fonction de l'intensité de la pensée, du nombre de fois où on se laisse porter par elle (à raison de 60000 pensées en moyenne par jour pour chaque personne, ça en fait des occasions d'émettre une telle fréquence...) et en fonction du nombre de personnes entrant en résonance avec ces pensées ou émotions. Qu'elles soient dites ou non. Le fait de les exprimer oralement va leur donner plus de poids mais les pensées existent déjà en tant que fréquences.

La norme, implicite ou explicite, va donc influencer les schémas de pensée et schémas émotionnels de chaque individu et le groupe sera lui-même influencé et nourri par la contribution de chacun selon le degré d'alignement individuel.

On comprend donc bien que sur une base de manipulation, tout ce mécanisme va générer une forme de pollution de fréquences toxiques.


Côtoyer ce type d'environnement au quotidien ne peut que fragiliser l'équilibre individuel et va, au mieux, demander à chacun de mettre beaucoup d'attention et d'énergie pour ne pas alimenter la pollution et ne pas entrer dans la danse forcée voulue par le manipulateur ou au pire, créer des déséquilibres qui selon la force et la stabilité des personnes présentes pourra se répercuter sur leur état de santé (physique, émotionnel ou mental par exemple). Que de souffrance potentielle! Alors que l'être humain est une merveilleuse fabrique à énergie, cela peut tout aussi bien aller dans une direction destructrice et produire un énorme gâchis.


Au niveau collectif, les pratiques de management utilisant la manipulation, même subtile, qui vont s'arranger pour que conflits ou désaccords s'organisent 'naturellement' entre les uns et les autres, sans forcément intervenir mais en laissant faire (manipulation passive) vont forcément finir par saboter la confiance du groupe, annihiler son sentiment d'unité, réduire la créativité en siphonnant la capacité d'intuition, ce qui aura un impact fort sur la possibilité du groupe d'innover, donc de se renforcer. On peut voir cela comme une chape de plomb posée sur le groupe qui empêche d'avancer en bénéficiant les uns des autres.


Et que dire d'un collectif plus large comme une entreprise composée de plusieurs strates de management: lorsque de telles pratiques ont cours depuis le haut de la hiérarchie, comment cela vont-elles se répercuter à tous les niveaux de l'organisation? Car les répercussions vont être importantes, individuellement, collectivement, tout comme les coûts indirects liés à ces comportements. Que dire de la culture de l'entreprise ou du collectif en question qui autorise de telles pratiques? Dans un tel contexte, quelles sont les vraies raisons qui poussent les salariés ou membres à rester? Pourquoi observe t-on si souvent les entreprises de devoir trouver toujours plus de solutions financières pour retenir les talents et éviter qu'ils partent au lieu d'arriver à les fidéliser par la qualité réelle de l'environnement de travail?


Rassurez-moi, vous avez un gout de déjà-vu? Moi, oui!


Tout cela parait tellement évident à comprendre qu'il est impensable que l'expérience acquise à travers du temps n'apporte pas cette part de sagesse à tout parent, manager ou dirigeant confronté au terrain. Et pourtant...nous entrons bientôt en 2021 et force est de constater qu'il y a encore de trop nombreux exemples.


Je me suis souvent demandé: comment cet état d’esprit de manipulation et d’orchestration est-il simplement possible? Comment peut-on à ce point perdre de vue les responsabilités que l’on a prises en acceptant le pouvoir qui va avec? Car l’un ne va pas sans l’autre. Et pourquoi cela continue t-il à perdurer?


J'ai mes propres réponses systémiques que je n'exposerai pas ici, le but de cet article étant d'encourager chacun à faire son travail d'introspection pour revisiter les situations vécues dans tous les aspects de sa vie et ainsi faire son analyse personnelle honnête et intègre au regard de son propre système de valeurs.


Toutefois, j'encourage les leaders RH à oser adresser ouvertement ce sujet avec la communauté de managers qu'ils accompagnent. Ça n'est pas un sujet facile: quand on commence à tirer un fil pour démêler un noeud apparu au milieu de l'organisation, on s'aperçoit souvent que les causes sont aussi à chercher plus haut dans la hiérarchie. Or, qui dit hiérarchie dit pouvoir et succès: quel intérêt un responsable reconnu pour ses résultats aura à se questionner et à remettre en question ce qui a fait son succès? Et pourtant, dans ma vision d'une organisation performante, c'est un des enjeux de la fonction RH que de se mobiliser pour faire évoluer l'organisation vers son meilleur potentiel. Et cela demande d'aller chercher le courage de mettre certains sujets sur la table.


Que ce soit au niveau individuel ou collectif, les pratiques de gestion de pouvoir à la 'diviser pour régner' sont légion et les répercussions nombreuses. Il est donc essentiel alors que nous débutons une décennie qui s'annonce pleine de transformations en tout genre d'aller oser regarder sa propre expérience pour nettoyer en soi toute affinité avec cette devise certes ancestrale mais si peu adaptée au monde qui émerge.


Commençons donc par la transformation en soi: 
Dans quels domaines de ma vie est-ce que je perdure dans ces pratiques? 
Pourquoi? Quelles sont mes intentions exactes dans ma volonté d'acquérir et de garder le pouvoir? Suis-je capable de regarder ces véritables intentions en face? 
Qu'est ce que cette façon de diriger cherche à compenser en moi? De quoi ai-je besoin de prendre conscience pour mettre fin à ces schémas et me transformer?

Voilà un programme de réflexion très prometteur qui même s'il commence par être inconfortable et exigeant apporte ensuite une libération importante en soi pour faire émerger la nature profonde de son leadership en dehors d'anciens codes et conventions obsolètes. C'est ce que je vous propose d'explorer ensemble et vous verrez, c'est passionnant!


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